Au fil des mots d'Emma
Cet article fait parti d’une série d’articles en lien avec mon nouveau roman Gecko.
Le roman est disponible en versions numérique et brochée sur Amazon.
Je n’arrive pas à dormir. Une insomnie, une vraie. De celles qui me tournent et retournent dans mon lit, de celles qui envahissent mon corps comme mon esprit emportant en un ras de marée la fragile digue entre moi et les rares souvenirs qui me restent.
Parfois, je regrette de ne pas avoir bu bêtement la tisane des gardiens jusqu’à l’oubli total.
Parfois, seulement.
Au fond, je préfère savoir. Je me sens ainsi maîtresse de ma destinée, de mon choix.
De longues heures s’écoulent. Les flashs reviennent en boucle. Cet homme dont je veux rayer le nom de mon existence lève la main sur moi, encore et encore. J’en ressens presque la douleur.
J’allume une bougie pour chasser les images. Les ténèbres l’avalent bien trop vite et je n’ai pas le coeur de leur en offrir une nouvelle.
Alors, je me décide. Je traverse la chambre sans un regard pour le second lit inoccupé et je sors. La Citadelle est plongée dans l’obscurité. Pas un bruit ne monte des chambres tandis que je glisse mes pas sur les dalles glacées. Je me félicite d’avoir emporté avec moi ma plus chaude cape, celle qui est assez large pour envelopper mon corps trop lourd, celle qui est doublée de fourrure à l’intérieur.
Je n’entends que le feulement léger de mes chaussons. Irrégulier.
Je ne sais pas où je vais.
Et puis, tout à coup, je suis happée par une bourrasque de vent. Je débouche hors du couloir, sur la muraille, là où il n’y a qu’un pont de pierre suspendu entre deux bâtiments de la Citadelle. Je ferme les yeux un court instant, surprise par la force de l’air. Il en faut beaucoup pour me bousculer et je me sens comme sur le pont d’un navire au coeur d’une tempête – je dois avoir fait une ou plusieurs sorties en bateau dans ma vie, c’est toutefois une chose que ma mémoire a occultée. Mon corps, lui, se souvient-. Je me tourne sur la gauche, vers la Cité et l’observe. Les grands bâtiments gris aux murs lézardés s’étendent dans les ténèbres. À cette heure, il ne reste que quelques lanternes perdues au hasard des fenêtres des insomniaques. Ou symbole de quelques transactions illicites. La rue principale est vide. Les pavés attendent le levé du jour pour dévoiler leur couleur trop pâle. Ce devait pourtant être magnifique jadis. Quand le soleil brillait encore. Au temps de la gloire de la Cité. Mon regard fouille une ligne d’horizon proche, barrée par l’empilement savant des étages. Je rêve d’un monde dans lequel je découvrirais des arbres et des collines. On dit qu’au-delà de la ville restent encore quelques terres sauvages, celles où vivent les oarons et leurs chevaux. Je ne les connaîtrais jamais quand bien même je vivrais l’éternité.
Je frissonne. Parfois, l’idée de vivre à jamais dans la Citadelle me serre la gorge. Et puis, bien vite reviennent les souvenirs de cet homme auquel je refuse un prénom. Alors je sais que j’ai une chance fabuleuse d’être ici, en sécurité.
Je laisse la ville et m’accoude entre deux créneaux de pierre pour regarder la mer. Voilà, je l’ai le vaste espace qui me manque, enfin presque. Comme elle le fait depuis mon arrivée dans ce monde, la frontière de flammes perpétuelles danse sur les vagues dans un mouvement envoûtant. Je suis à bonne distance et pourtant je sens sa caresse tiède sur la peau de mon visage.
Je pourrais rester des heures à regarder les couleurs chatoyantes se mêler les unes aux autres, virer au bleu, au violet, revenir au rouge vif, dévoiler mille teintes de orange. Une nouvelle rafale me fouette le dos et me coupe le souffle. Alors que je me redresse bien décidée à me mettre à l’abri, le vent tombe soudain et mon regard se pose sur la petite barque qui approche du quai. Elle n’est pas vide.
Mon coeur se met à battre plus furieusement que si j’avais traversé la citadelle au pas de course. Je sais ce qu’il se passe. Ça faisait longtemps… mais il n’y a aucun doute. Je me penche vers le quai duquel le bateau se rapproche et sursaute en apercevant une silhouette enveloppée d’une cape, debout face à la mer. Elle semble attendre la barque. Je fronce les sourcils. Qui c’est elle ? Je la vois mal dans l’obscurité, mais il est certain qu’il ne s’agit pas d’un de nos gardiens.
Le bruit d’une course me fait tourner la tête. Mon coeur s’accélère encore s’il est possible alors qu’une délégation de gardes débouche sur le quai. Je reviens à la naufragée. Elle est seule, écroulée sur les pavés. L’autre a filé. Des cris me parviennent. Je ne les comprends pas. Mais je connais la suite de l’histoire. Très bientôt, une nouvelle prisonnière rejoindra nos rangs. Et je suis aussi excitée que triste à cette idée.
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