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Au fil des mots du roi

Cet article fait parti d’une série d’articles en lien avec mon nouveau roman Gecko

Le roman est disponible en versions numérique et brochée sur Amazon. 

– Les dieux, les magiciens ou les puissances créatrices ne pourraient-ils donc pas avoir pitié de moi ?

Mon cri résonne dans la tente. Il m’a échappé.

Le mouvement de mon corps fait vaciller la flamme de l’unique bougie qui brûle, posée sur une petite table basse. Elle ne fait pas le poids face à la puissance des ténèbres, mais elle a le mérite de m’éviter de buter dans les murs de toile. Je me tourne, repars dans l’autre sens, indifférent au regard vide des deux gardes plantés à la porte, et à celui, affolé du messager agenouillé au centre de l’espace. Je le contourne, avance à grands pas, atteins bientôt le lit de camp posé de l’autre côté.

En réalité, je ne crois plus en rien. Le ciel est vide. Noir comme la nuit infinie qu’il déverse sur notre monde.

Les dieux, si tant est qu’ils existent, ont abandonné ma terre. Les magiciens l’ont maudite. Les puissances créatrices ont été vaincues par la mort.

Un nouveau demi-tour. Je m’arrête devant l’homme à terre. Il porte une tunique noire à l’effigie du cercle de flammes, un laissez-passer sans appel pour traverser la Cité sans encombre. Ses cheveux ébène sont gris de poussière, ses lèvres étroites gercées. Des sursauts incontrôlables font tressaillir les muscles de ses bras. Son corps hurle sa fatigue. Je devrais le libérer. Le féliciter. Le remercier. L’envoyer avaler un bol de soupe. Faute de quoi, je m’entends demander :

– En êtes-vous certain ?

Il lève vers moi son visage sale, avale difficilement sa salive et répète mot pour mot le discours qu’il m’a tenu quelques instants auparavant :

– La Citadelle a été détruite par les flammes lorsque le vieux fou a sauté de la muraille. Nous avons réussi à sauver les prisonniers. Pas tous. La frontière a avancé encore.

– Et “elle” ?

Cette fois j’explose. La colère m’emporte tandis que je pense à mes quatre enfants. Ils sont en sécurité au palais, mais pour combien de temps ? Si cette Lou trouve sa porte et traverse… je secoue la tête.

– Nous la cherchons.

– Cherchez mieux bon sang !

Ils vont tous m’entendre dehors, eux qui m’accompagnent. Ils vont comprendre à quel point la situation est critique. Je soupire. En réalité, ils le savent déjà. Ils ont écouté comme moi les rapports des Oarons. Les ressources diminuent. La terre devient stérile. Les bêtes dépérissent. Ne serait-ce au fond pas un bienfait que d’en finir ? De baisser enfin les bras ? Je devrais peut-être rentrer au palais, serrer les miens dans mes bras, profiter des dernières secondes pour leur sourire et les aimer.

– Nous pensons qu’elle n’est pas seule, affirme l’homme à mes pieds.

Je ferme les poings. Croit-il me faire plaisir en étalant leurs faibles progrès ? Elle n’est pas seule non, et c’est bien pire. Elles se sont trouvées : la naufragée et son passeur. À deux elles sont bien plus fortes, bien trop… Je me sens soudain très lasse. Je lutte pour ma terre depuis des décennies, usant mon immortalité dans une quête perdue d’avance. Maudits soient les magiciens, eux qui sont à l’origine de tout !

La crispation au fond de ma poitrine me surprend. Même après de longues années je ne peux évoquer les magiciens sans penser à celle qui a partagé ma vie. Je n’aurais jamais pensé la voir m’abandonner et pourtant… Je chasse la pensée de mon esprit. L’heure n’est pas à la nostalgie, mais à la survie.

– Une idée de la porte où elles se rendent ?

Le messager se recroqueville. Ou il ne sait pas ou je lui fais peur. Ce n’est pourtant pas le moment qu’il se dégonfle. Je l’attrape par le col de sa tunique noire, le soulève à demi pour le mettre sur pieds et, d’une voix basse, mais sans appel, je lui dis :

– Demain, nous sommes tous morts. Si tu as la moindre idée de l’endroit où sont Lou et son passeur, même une idée stupide, c’est le moment. Une fois que les flammes auront réduit ton corps en cendre, ce sera trop tard.

Je ne peux être plus clair. Je lâche l’homme qui, contre toute attente rétablit son équilibre et ouvre la bouche :

– La magicienne… elle, elle saurait.

Les mots plantent un poignard invisible au beau milieu de mon coeur. Ma lèvre tremble, l’air se raréfie.

– On dit qu’elle se cache dans les marais, ajoute le messager.

Je lui tourne le dos pour qu’il ne voie pas mon trouble et fixe la lueur vacillante de la bougie. Les marais… la rumeur de sa présence est parvenue à mes oreilles juste après mon remariage. Légende ou vérité ? Il était trop tard pour le vérifier. Mais l’homme a raison. S’il reste un espoir, c’est elle, la magicienne. Quoi qu’il m’en coûte de la retrouver. Je suis roi de ce monde et il est mon devoir de tout tenter pour le sauver. Je redresse les épaules et annonce :

– Préparez-vous. Nous partons pour les marais.

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