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Rencontre avec un gecko de lumière

Cet article est un extrait de mon nouveau roman Gecko. 

— Aidez-moi !

Lou se réveilla en sursaut. La couverture dans laquelle elle était enveloppée tomba au sol. Elle la chercha à tâtons, car il faisait complètement noir dans la pièce. Elle ne distinguait que la petite bille de lumière qui dansait sur la grosse horloge et elle mit du temps à se souvenir de l’endroit où elle se trouvait.

Peu à peu, elle se rappela être revenue du marché en compagnie d’Emma et de Valentine. Elles avaient mangé ensemble dans la grande salle de la Citadelle. Valentine avait alors proposé de se rendre à la bibliothèque pour présenter un jeu à sa nouvelle amie. Mais Lou était trop fatiguée pour se concentrer sur quoi que ce soit. Elle avait décliné l’invitation pour retourner dans sa chambre et faire une sieste.

La jeune femme soupira. Elle enroula à nouveau la couverture autour de ses épaules. La lumière n’avait pas daigné demeurer bien longtemps au-dessus du monde et l’obscurité avait ramené le froid. Lou hésita à se lever pour allumer sa bougie. Elle y renonça. Une torpeur lourde enserrait chacun de ses membres. Elle avait du mal à respirer. Elle se concentra sur son souffle. Une fois celui-ci apaisé, elle s’assit, les yeux fermés, et tenta de replonger dans les méandres de sa mémoire.

Peu à peu, les bruits du dehors s’estompèrent. Les pas de Fabien devinrent lointains, ses cris insignifiants. Elle sentit à nouveau l’odeur d’algues qui flottait sur la mer le jour de son arrivée. Ignorant la danse de la barrière de flammes, elle fixa ses pensées sur les eaux noires. Elle se sentit plonger à l’intérieur, tout près de découvrir l’un des secrets qu’elles renfermaient.

Soudain, une bille blanche effaça les ténèbres. Lou plissa ses paupières closes, surprise. La sphère était minuscule, légèrement transparente et pétillante. Comme l’intensité de la lumière augmentait peu à peu, la jeune femme fut forcée d’ouvrir les yeux. Elle se jeta en arrière et se cogna au mur. Juste sous son nez flottait la même bille, de la taille d’un demi-ongle. La clarté était moindre, mais indiscutable. Comme Lou l’observait avec une prudence extrême, la petite boule s’étira et se transforma en lézard.

— Te revoilà, murmura Lou.

La jeune femme avança un doigt vers l’animal, se demandant s’il allait disparaître comme la première fois. La lumière ne dégageait aucune chaleur. Elle caressa le gecko, s’amusa à l’enfermer dans sa paume, puis à le libérer. Finalement, Lou sortit du lit et enfila les bottines qu’on lui avait données. Puis, comme il faisait encore très froid, elle noua sa cape sur ses épaules.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle à l’animal de lumière. Que veux-tu me montrer ?

Soudain, le gecko se mit en mouvement. Il ondula jusqu’à la porte et s’arrêta à la hauteur de la poignée. Lou hésita. Le couloir était silencieux. Elle ouvrit donc la porte. Le lézard s’échappa et la jeune femme le suivit. À chaque fois qu’il percevait un mouvement ou une voix, le gecko fonçait se loger au creux de la paume de Lou et s’y tenait caché. L’apparition la ramena jusqu’au pied des escaliers menant à la terrasse du marché. Au moment où la jeune femme arrivait, le gardien lui tournait le dos, occupé à allumer un brasero récalcitrant. Il n’y avait personne d’autre et la grille était entrouverte. Sans réfléchir, Lou se glissa dans l’espace libre. Le lézard la devança dans l’escalier. Lou gravit les premières marches au pas de course. Elle ralentit ensuite, le cœur emballé, l’esprit embrouillé. Le gecko s’adaptait à son rythme.

Un claquement soudain. Lou sursauta. En bas, le gardien venait de refermer la grille. Le double tour de clé qu’il donna dans la serrure résonna dans la tour.

« Mais qu’est-ce que je fais ? », s’interrogea Lou en stoppant. « Je suis enfermée dans l’escalier. Que va-t-il se passer s’ils me rattrapent ? »

La silhouette de la blonde apparut dans sa mémoire. Avec toute la colère accumulée. Les incompréhensions. Son désir profond de s’échapper. Elle revit le vide quasi insignifiant entre la terrasse de la Citadelle et celle des mendiants. Elle pouvait sauter, elle en était certaine. Même dans le noir. Forte de cette conviction, elle reprit l’escalade et, en haut, se heurta à une nouvelle grille. Fermée. Lou retint son souffle et les larmes de rage qui menaçaient de déborder de ses yeux. Ses mains s’enroulèrent autour des barreaux. Le lézard de lumière flottait juste de l’autre côté, comme pour la narguer.

La jeune femme appuya son front contre le fer glacé. Un frisson secoua ses épaules, glissa jusqu’aux coudes et s’échappa au bout de ses doigts. Elle tourna la poignée de la porte qui résista dans un claquement sec. Lou insista. Peu lui importait désormais qu’on l’entende. Elle voulait passer ! Elle ferma les yeux et secoua la grille. Alors qu’elle n’y croyait plus, il y eut un déclic et la porte céda. La jeune femme, entraînée par l’élan, s’écroula sur la terrasse. Un peu sonnée, elle se releva lentement. Elle sentait les meurtrissures de sa chute sur ses jambes, son bras et sa joue, mais elle n’y prit garde.

À grands pas, elle se dirigea vers la terrasse des mendiants aussi bondée que le matin même. Au fur et à mesure qu’elle avançait, Lou tentait d’évaluer la distance, le saut qu’elle aurait à faire pour atteindre son objectif, le meilleur endroit où atterrir pour ne blesser personne. Alors qu’elle se trouvait à trois pas du mur, le gecko fila soudain à toute vitesse. Lou le suivit des yeux et le vit se loger dans la main de l’une des personnes debout sur la terrasse. C’était une femme, emmitouflée dans une cape bleue, la tête dissimulée sous une large capuche. Lou s’arrêta. Même sans voir son visage, elle l’avait reconnue. C’était elle qui se tenait sur le quai, le soir de son arrivée. Elle qu’elle avait aperçue le matin même.

— Montre-moi ton visage, murmura Lou, en sachant qu’elle ne pouvait l’entendre par-dessus le brouhaha qui s’élevait du balcon.

En face d’elle, la femme ne bougea pas. Lou baissa les yeux vers le trou qui les séparait.

« Quatre pas d’élan devraient suffire », se dit-elle.

Elle n’ignorait pas qu’une erreur d’appréciation signifiait la mort. Elle n’avait pas peur. Elle ressentait seulement une envie démesurée de quitter la Citadelle et d’aller chercher ailleurs qui elle était.

Et puis, on l’attendait.

« Fabien a raison », réalisa-t-elle brusquement. « Je ne suis pas seule. »

Un nouveau coup d’œil à la silhouette bleue l’encouragea. L’inconnue lui fit un signe de main pour l’inviter à la rejoindre. Lou se mit alors à courir. Au moment où elle allait grimper sur le muret, deux bras la rattrapèrent par la taille et la projetèrent violemment en arrière.

— Fouillez les habitations en face ! hurla un homme contre son oreille. Trouvez le passeur !