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Extrait du journal de Juliette

Cet article fait parti d’un ensemble d’articles en lien avec mon roman Si j’avais su.

Le roman est disponible en versions numérique et brochée sur Amazon. 

16h35.

Les rayons rasant du soleil se reflètent dans les boules suspendues aux branches de l’immense sapin dressées sur la place. À ses pieds, un petit square où chahutent une dizaine d’enfants. Emmitouflée, dans mon manteau, mon bonnet à pompon rabattu sur les oreilles, je profite de la joie de mes filles qui se défoulent après l’école. Je capte leur rire. Je souris de la complicité avec leurs amies. Elles sont deux aujourd’hui. Elles pourraient être trois, mais j’ai laissé ma petite fée à sa mamie et j’attends dans le calme d’emmener mon étoile à son cours de danse. 

 

16h40.

Je m’assois sur un banc, à côté de cette dame que j’apprécie vraiment. La grand-mère d’une des meilleures amies de ma princesse. Je me réjouis d’avoir quelques minutes pour échanger avec elle. Nous parlons « danse, discipline dans la classe, devoirs » et autres sujets anodins. Il fait froid, mais je profite. De la convivialité du moment. De sa simplicité. 

 

16h45.

Elle m’interroge sur l’absence de ma petite fée. 

Un soupir intérieur. 

Un pincement de coeur quand j’explique que c’est parfois compliqué de marcher ne serait-ce que quelques mètres avec elle. Qu’elle peut hurler pour un rien, s’écrouler, ne plus vouloir se relever. Et que, comme chaque lundi, je choisis la facilité en la laissant à sa mamie. 

Je m’épargne un peu.

Un soupçon de culpabilité me traverse…

 

16h50.

Elle me questionne avec bienveillance et intérêt. À propos du langage des signes que nous utilisons. Des séances de psychomotricité. Du parcours pour en arriver au diagnostic. Elle me demande aussi si c’est un syndrome que l’on peut détecter avant la naissance. 

Non. La différence de ma petite fée peut rester invisible très longtemps. Et nous avons même eu la chance de le découvrir tôt.

Les rayons du soleil s’estompent derrière les immeubles en face de moi.

J’explique. Je souris. J’essaie d’être positive. Et pourtant, quelques mots m’échappent :

« C’est quand même une saleté de syndrome ».

 

16h55

La réponse fuse :

 » Il y a des handicaps qui sont pires que ça. »

La sentence est implacable. 

J’approuve. Bien sûr. 

Je souris. Que faire d’autre ? 

Elle a raison. 

Mon coeur se serre quand même. Je sais tellement ce que je porte… Invisible. Incompréhensible. Indicible parfois. Alors justement, je ne dis pas. Je ravale les jours et les nuits de galère. Les mauvaises nouvelles. Les renoncements. Je ravale mes colères et mes larmes. Et je me concentre sur ces enfants ordinaires qui se bousculent autour de moi. Je me concentre sur la banalité du moment parce que là, en cet instant je n’ai rien à gérer d’autre que la normalité.

Sur la place, le soleil a fui.

 

17h00

Il est temps de partir. La nuit tombe. J’ai un chignon à faire et mon étoile à accompagner. Mon interlocutrice se lève et conclut notre discussion : 

« Ah oui… et puis puisqu’on ne peut pas le détecter avant la naissance… »

 

La phrase reste en suspens dans l’air glacé du soir. Elle se noie dans tous les cris des enfants. Elle se heurte dans mon esprit avec l’image de ma petite fée : son coeur qui bat contre le mien lorsqu’elle accepte un câlin, ses pitreries, sa façon de courir un peu bancale, sa volonté intense de se débrouiller seule. Elle, si belle, elle si vivante. 

 

Si j’avais su… qu’aurais-je dû faire petite fée ? 

Te tuer pour me préserver ?…

 

Je sors du parc. La main glissée dans celle de mon étoile. Ma princesse qui court devant nous. 

Il fait froid. Il fait nuit. C’est l’hiver au sens propre, mais aussi au sens figuré. 

Je ne nie rien. 

Et surtout pas les jours où je voudrais que tout s’arrête. Où j’envie toutes ces familles normales. 

Où je me sens tellement incapable d’être la maman d’une petite fée SMS. Où je n’ai aucune solution. Aucune force. 

 

Mais une chose est certaine petite fée… si j’avais su, j’aurais choisi de t’aimer. 

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