En route pour l'autre monde -1
Cet article fait parti d’une série d’articles en lien avec mon nouveau roman Aynor.
Le roman est disponible en versions numérique et brochée sur Amazon.
Léalia se tenait droite sur le pont du petit bateau, aussi immobile que possible. Ce n’était pas simple de garder l’équilibre. L’étroit passage de mer entre la province centrale et celle de Mirfak était agité. Les vagues claquaient contre la coque du bateau qui tressautait, plongeait soudain dans des creux invisibles puis remontait brusquement.
Un instant, la jeune femme se demanda ce qui se passerait si elle s’écroulait. Le déshonneur l’absorberait tout entier. Et pire, si elle venait à tomber à l’eau ? Elle savait nager, mais n’aimait pas ça et au milieu des récifs, elle n’était pas certaine d’arriver à s’en sortir. Peut-être qu’Ayden sauterait pour la repêcher. Ou d’autres avant lui. Mais la cérémonie serait gâchée et l’ensemble du peuple ne parlerait plus que de cette reine incapable d’honorer la mémoire de sa famille en restant debout pendant la traversée.
Reine…
Le mot résonna dans l’esprit de Léalia.
Elle savait depuis longtemps qu’elle en porterait le titre. Pourtant, il sonnait étrangement à son oreille. Empli d’un ensemble de promesses teintées d’une charge si lourde qu’elle n’était pas certaine d’avoir assez de force pour la porter.
Elle tenta de se détendre pour mieux absorber les secousses de l’embarcation.
« Comme à cheval », se dit-elle.
Un coup d’oeil furtif à sa droite lui apprit qu’Ayden s’en sortait mieux qu’elle. Cela ne l’étonna pas. Dès le départ, elle avait été captivée par sa prestance, la facilité avec laquelle il abordait chaque situation, même nouvelle, son calme, sa discipline. Aujourd’hui, il incarnait parfaitement le roi qu’il était devenu.
Laélia l’avait longuement admiré le matin même, alors qu’il se préparait dans leur chambre. Il avait passé une tunique neuve assortie à son pantalon. Le tout était d’un rouge vif, couleur du deuil. Une épée ciselée d’or était accrochée à sa ceinture. Une couronne simple sertie de pierres précieuses pourpres complétait la tenue. Laélia avait eu envie alors de le serrer dans ses bras et d’apaiser le chagrin qu’il dissimulait. Elle s’était abstenue, sachant que son mari ne souhaitait pas que sa tristesse soit mise en évidence.
La jeune femme vacilla alors que le bateau faisait une nouvelle embardée. Elle sentit le bras d’Ayden la soutenir un bref instant. Elle pinça les lèvres et respira lentement pour se calmer. Il ne restait plus beaucoup de temps. Déjà dans le lointain elle pouvait apercevoir les brumes perpétuelles de l’île de l’Autre Monde. Mais, à mesure qu’ils approchaient, le sentiment de malaise qu’elle ressentait depuis le début de la traversée croissait dans son coeur. Loin de retrouver un rythme normal, son coeur, au contraire accélérait.
Laélia tenta de penser à autre chose. Mais ses réflexions, au lieu de l’aider à se détendre, la ramenèrent à un sujet douloureux, à ce bébé qu’elle espérait depuis bientôt deux ans et qui ne venait pas. Elle le rêvait parfois, nourrisson fragile lové au creux de ses bras, symbole de l’amour puissant qui l’unissait à Ayden. Le bébé parfait.
« Ou pas… » souligna son esprit, incapable d’imaginer un bonheur simple.
La possibilité d’avoir un enfant différent terrifiait la jeune femme. Elle savait d’avance qu’elle n’aurait jamais la force de l’abandonner à la nature s’il s’agissait d’une fille ou de le confier aux wàn s’il s’agissait d’un garçon. En même temps, son statut de reine ne lui laissait aucune possibilité de cacher l’enfant si c’était le cas.
« Il n’y a pas de raison, se redit-elle une fois de plus. Ce n’est pas parce que cet enfant tarde à venir qu’il y aura un problème. »
Mais malgré elle, les yeux de Laélia se posèrent sur la peau tâchée de blanc du capitaine du bateau.
– Je m’appelle Hadriel, avait-il déclaré en s’écartant pour permettre au couple royal de monter dans son bateau. C’est moi qui vais ouvrir les portes de l’Autre Monde pour vous.
Laélia avait détourné les yeux de son visage et avait fait un écart pour être certaine de ne pas le toucher. Elle savait d’avance que les wàn chargés du corps royal seraient parmi les plus marqués de la communauté.
– Plus ils sont étranges et plus ils sont puissants pour affronter le monde des morts, avait expliqué Ylaïs à sa fille bien des années plus tôt.
– Mais, pourquoi est-ce uniquement des hommes et jamais des femmes ? avait interrogé Laélia.
Ylaïs n’avait pas répondu, comme à chaque fois que sa fille mettait le doigt sur un sujet difficile. En observant le crâne chauve d’Hadriel, Laélia ne pouvait s’empêcher de repenser à cette conversation. L’homme leva soudain la main. Les rameurs sortirent d’un même mouvement leurs rames de l’eau grise. Face à eux se trouvaient les deux rochers noirs en forme de dôme qui émergeaient de la mer et marquaient l’entrée du territoire de l’Autre Monde. Derrière eux, il n’y avait que la brume, celle qui ne se levait jamais et entourait l’île des morts d’un cocon de mystère.
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