Schimeï, le héros de Terres inetrdites, a été élevé par sa grand-mère Aouna. Découvrez ci-dessous ce personnage important de mon roman.
A genoux sur le sol de terre battue, Aouna trempa un morceau de cuir souple dans le bol d’eau que venait de lui apporter sa petite-fille. Elle le déposa délicatement sur le front de Galliam. L’homme frémit sans pour autant ouvrir les yeux. De grosses gouttes de sueurs glissaient le longs de ses tempes pour se dissoudre dans les fourrures de la couche sur laquelle il reposait. Sa respiration sifflante emplissait l’ensemble de la pièce.
Aouna releva difficilement son corps tout en rondeur. Ses membres ne lui obéissait plus comme avant. Selgaa se précipita pour lui venir en aide. La vieille guérisseuse posa un regard bienveillant sur sa petite fille. Ce serait elle qui la remplacerait bientôt. La jeune femme possédait déjà la marque des guérisseuses : les trois points tatoués au-dessus du nez. Elle était réellement douée et Aouna se sentait fière de son élève.
Aouna contempla son reflet dans l’eau troublée du bol. Sur sa tête, son éternel fichu dissimulait les rares cheveux gris qui lui restaient encore. Son front disparaissait dans un flot de rides qui glissaient leurs rigoles fripées jusque sur son nez. Malgré les cernes sous ses yeux, elle ne pu s’empêcher de se dire que son image n’était pas aussi détestable que certaines femmes de 63 ans. Son sourire perpétuel semblait démultiplié par les plis autour de sa bouche. Ses joues rebondies accentuait la compassion inscrite dans chacun de ses traits.
Elle tenta de se rappeler ce à quoi elle ressemblait, avant.
Elle était belle. Elle l’avait compris dans le regard de Joyr, l’homme qu’elle avait éperdument aimé et qui lui avait si bien rendu cet amour. Elle repensa au jour de son mariage, le plus heureux certainement de sa longue existence. Elle s’était crue bénie par le dieu Elion. Combien de jeunes femmes pouvaient espérer épouser celui qu’elles aimaient ? Elle avait une chance sur des millions que le sort lui soit favorable… et il l’avait été.
Les lèvres d’Aouna s’entrouvrirent. Son souffle glissa sur l’eau, noyant son reflet. Le sort, ou Elion, l’avait cruellement punie de ce bonheur. Un an après leur mariage, alors qu’elle était enceinte, Joyr avait glissé d’une falaise. Il était mort, la laissant à jamais meurtrie. S’il n’y avait eu Robia, la précédente guérisseuse du village, elle ne serait certainement pas en vie aujourd’hui.
Elle posa le bol à côté du foyer. Elle se souvenait encore des polémiques soulevées par Robia. Chez les Gandaris, on ne devenait pas guérisseuse comme cela ! Le savoir se transmettait de mère en fille dès la petite enfance. Mais Robia n’avait eu que des fils et l’ombre de la mort planait sur elle. Devant l’absence de succession, le maître de Val-Torel avait cédé. Et, contrairement aux prédictions des mauvaises langues, Aouna s’était révélée excellente.
– Tu crois qu’il va guérir ?
Aouna se tourna vers Selgaa.
– Il guérira, murmura-t-elle de sa voix douce.
Elle n’ajouta rien alors qu’elle aurait eu tant à dire… Aouna était avare de mots.
Dans un froufrou de sa robe bariolée, la vieille femme s’approcha des étagères qui couraient le long des murs de la pièce à vivre. Qui entrait dans sa maison avait l’impression d’un désordre inexplicable. Pourtant, les dizaines de bourses de cuir et de bols qui se trouvaient là étaient rangés dans un ordre précis. Ils contenaient les précieuses récoltes destinées à guérir.
Aouna saisit un récipient.
– L’eau boue ?
– Presque.
Lorsqu’elle ouvrit la boîte et referma les doigts sur les feuilles séchées, l’odeur de saule la ramena quelques années en arrière. Un soir d’orage. Elle revit en pensée le visage immobile de Loralia, sa fille unique. Décédée en donnant naissance à Selgaa. Un profond sentiment d’injustice refit surface. Galliam était là, vivant, même s’il paraissait bien fragile aujourd’hui. Sa fille, elle, n’était plus.
Elle caressa un instant l’idée de laisser dépérir le maître des Gandaris. Ce serait une solution si simple… Tous savait qu’il était malade. S’il mourrait… elle serait libérée.
Libérée des mensonges dissimulés dans le creux de son âme.
Libérée de la peur de voir Schimeï embrigadé par celui qu’il considérait comme son père.
Libérée de la frayeur de voir Selgaa se lever petit à petit contre les coutumes de leur peuple, et risquer sa vie.
Elle soupira profondément, ouvrit le poing et laissa glisser les herbes dans l’eau bouillante. Elle attrapa ensuite une cuillère de bois et remua le tout, le visage enveloppé de vapeur tiède. L’infusion serait bientôt prête.
Non, elle ne laisserait pas mourir Galliam car elle en était incapable. Une fois déjà…
Elle repoussa ce souvenir.
Elle mettrait toute son énergie à le sauver et ne se trahirait pas elle-même. La mort la rebutait. Elle la combattrait jusqu’à son dernier souffle. Elle resterait digne de celle qu’elle était : Aouna, la meilleure guérisseuse des Gandaris.