J’ai voulu intégrer à la terre d’Elion quelques créatures imaginaires, dangereuses pour la plupart et un peu mystérieuses. Il m’a semblé naturel de mêler un épisode de l’enfance de Luk-An à la présentation que je désire vous en faire, car lui aussi est à la fois redoutable et énigmatique.
Voici la première partie de ce texte.
Appuyé contre les pierres glacées de la muraille qui entouraient Jaé-Sion, Luk-An avait fermé les yeux.
Il y avait le ciel
Les soleils s’étaient levés juste à temps pour éclairer les dernières foulées de sa course matinale. Le garçon de sept ans adorait ces entrainements quotidiens que nul ne lui imposait. C’était son espace de liberté et il n’y aurait renoncé pour rien au monde. Ce matin pourtant, il avait eu une autre raison de se lever tôt.
D’élégants papillons aux ailes déployées
En silence y valsaient
Il lui restait encore un peu de temps libre avant que Zaron ne rassemble les enfants pour leur leçon quotidienne d’histoire.
Luk-An plissa le nez et colla le menton sur sa poitrine, comme pour mieux entrer en lui-même. Ses longs cheveux blonds dissimulèrent son visage derrière un voile qui le coupait du monde réel.
Un soupir s’échappa de ses lèvres pincées.
Non, il n’y parvenait pas ! Pourtant, les images n’étaient pas très loin dans sa mémoire.
Au rythme lent de l’eau
Les soleils mouchetaient les coques des bateaux
Cette nuit, il avait rêvé. Comme souvent.
Le rêve l’avait réveillé au beau milieu de l’obscurité laissant dans son esprit une empreinte indélébile…
La terreur.
Il ne se souvenait de rien d’autre.
Des trésors violets pour les rois du futur
A l’ombre des grands murs
Il tenta de se persuader que ce n’était pas important. Seulement un cauchemar comme en faisaient tous les enfants de son peuple. Son nez se plissa davantage tandis qu’il secouait la tête. Impossible ! Ses rêves à lui étaient différents. Ils parlaient de l’avenir.
Il se souvenait de la nuit où il avait vu Akalon tomber dans l’Orou. De son corps secoué de spasmes. Des Ryades qui s’enfuyaient en riant. Deux jours après, les pêcheurs de marguerites rouges étaient rentrés à Jaé-Sion, en portant le corps sans vie de ce même homme.
Luk-An avait deux ans.
Il repoussa les images pour se recentrer sur ce qui l’intéressait vraiment : ce qui avait pu provoquer chez lui un tel sentiment de terreur. C’était inhabituel. Contrairement aux autres enfants de son âge, l’obscurité ne l’effrayait pas. Il aimait la solitude et les paysages sauvages. Les légendes le fascinaient.
Alors ?
Trop vite abandonnés
Les rires pétillants dans les rues et foyers
Derrière ses paupières closes apparut la main de Galliam. C’était à la fête de l’équinoxe l’année précédente. Au bout des doigts fripés naissait la silhouette trapue d’un oukis, puis la tête au long museau. Elle ressemblait à celle d’un loup, dotée d’oreilles courtes et pointues.
– Les oukis sont des créatures du brouillard. Une brume qui colle à la peau et plonge le monde dans un terrible silence.
Une rangée de crocs s’ajouta. Et un filet de bave – ou de sang, il ne le précisa pas – qui glissait dans la poussière.
– Un oukis pourrait sentir votre odeur même s’il se trouvait de l’autre côté de la baie.
Un bras tendu vers la mer. Tous les regards qui le suivaient.
– Ils sont extrêmement rapides et se déplacent toujours par neuf, ne l’oubliez pas !
Le maître des Gandaris avait ramené sa main vers le bol installé à ses pieds pour y saisir deux baies rouges.
– Ils vivent loin au bord de la rivière Oble, sur les terres Runadels.
Elles trouvèrent leur place sur le dessin, à l’emplacement des yeux.
L’oukis avait pris vie.
– Ce sont les créatures les plus dangereuses de la terre d’Elion.
Un sourire sur les lèvres de Luk-An. Avait-il eu peur d’une troupe d’Oukis ? Il décida que non.
En réalité, ces animaux le fascinaient. Et, même s’il ne l’avait jamais avoué à quiconque, il désirait les combattre !
Où manquait l’essentiel.
Alors, qu’avait-il donc rêvé pour qu’il ne parvienne pas à se rendormir ? Pour que le sentiment de malaise ne le quitte plus ?