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On change radicalement de ton pour ce troisième volet de présentation des créatures imaginaires dans le monde d’Elion.
Je vous laisse découvrir.

Il sut qu’il allait survivre…
et cette idée le terrifiait.

Au bout du cil pleine de patience
L’onde somnole,
Miroir d’inconscience
Pétrifié dans l’instant et le silence.

Il ne voyait rien d’autre qu’un épais brouillard noir.
Il ne sentait rien d’autre que l’étreinte glacée de l’eau sur ses mollets.
Les nuages ondulaient sans hâte autour de lui. Par moments, ils formaient de longues cordes qui venaient s’enrouler autour de ses bras. Des liens glacés. Des liens brûlants. Il ne savait pas. Les sensations changeaient si vite qu’il ne pouvait les identifier. Il en éprouvait pourtant les morsures, comme si mille pointes d’acier griffaient sa peau jusqu’aux os et plongeaient plus loin encore, jusqu’à lentement dévorer les secrets de son âme.
Il chercha sa dague.
Elle avait disparue.
Il désira son épée.
Elle l’avait abandonnée.

Dans son regard, dans son coeur
Le rayon d’espoir se meurt.

Il était seul, face aux ennemis invisibles car, s’il ne voyait rien, il sentait les milliers de regards tournés vers lui.
Les poings serrés, il fit brusquement volte-face. Toujours des nuages, du noir et la douleur qui enlaçait son corps, pénétrait sa chair et fouillait son esprit.
La larme glissa sur sa joue.
Elle s’échappa.

Qu’elle vienne à quitter sa balançoire
L’eau est troublée
D’un saut aléatoire
Dans l’immensité touche dérisoire.

Il essuya la trace humide du bout des doigts et les découvrit rouges.

– Montrez-vous ! hurla-t-il. Battez-vous !

Les mots se perdirent dans l’air épais, comme aspirés aussitôt qu’ils franchissaient ses lèvres trop pâles.
Nul ne répondit.

Dans son regard, dans son coeur
Le rayon d’espoir se meurt.

Luk-An releva le menton. Il rejeta en arrière ses longs cheveux emmêlés de brume et, tous les sens éveillés, scruta les ténèbres. Il était un guerrier, le meilleur d’entre eux. Il le prouverait !
Il souleva une jambe. Elle lui parut peser plus lourd d’un rocher. Il tenta un pas, vacilla. Chaque mouvement lui demandait un effort démesuré et multipliait les rigoles qui couraient de son cou au creux de son dos.
Et les baisers de glace et de feu.
Et la mise à jour des secrets les plus enfouis.

Sur sa joue ne reste de l’acrobate
Qu’un frais baiser
Engagé dans la lente
Corruption de sa trace écarlate.

– Condamné !
La voix claqua. Tonnerre dans le silence.

Il se retourna avec une lenteur qui l’exaspéra.
Personne.
Soudain, une main griffue surgit dans son dos. Elle transperça son épaule et le relâcha brusquement. Il se tendit vers elle. Trop tard. Elle avait disparu. Une autre jaillit au hasard des ténèbres, griffa sa cuisse et se retira tout aussi vite entrainant sur son passage des lambeaux de chairs. Une troisième main la remplaça – mais peut-être était-ce la même ?- Il l’attrapa un instant alors qu’une décharge de douleur jaillissent dans ses doigts. Il ne put s’empêcher de hurler sous la puissance du mal et chancela, courbé en deux, le visage crispé dans l’attente du prochain coup.
Il ne vint pas. Maintenant, c’était des centaines d’images qui s’échappaient de lui. Impuissant, il vit passer les toits de Jaé-Sion, le visage de ses parents, chacune de ses courses dans la prairie, tous ses combats et mille autres souvenirs passés, présents et futurs. Dans un silence profond, ils se fondaient dans le noir tandis qu’un vide toujours plus grand l’envahissait.
Il se redressa pourtant.

– Je vous attends ! cria-t-il à la face de l’obscurité.

Le flot d’images cessa. Les mains reprirent leur danse impitoyable. Juste assez vicieuses pour le blesser et l’envahir de promesses de tourments bien plus grands.
Il resista encore.

Le dernier coup surgit à l’improviste.
Les doigts lui arrachèrent le coeur.

Luk-An s’écroula.

L’eau bouillonna. Gelée. Brûlante.
L’obscurité s’épaissit. Il se tordit sur le sol vaseux, incapable de se défaire de l’étau dans lequel on le maintenait, étonné de respirer encore.
Et puis, du creux des ténèbres, montèrent deux yeux rouges.

La créature ondula vers lui. Longue comme le bras, elle possédait une tête de femme. Des cheveux de la même couleur que son regard flottaient autour de ses tempes, comme un feu. Au sommet du crâne de la ryade, Luk-An aperçut une marguerite rouge arrivée à maturité.

Etait-il mort ?
Non.
C’était pire que cela.

La ryade l’observait. Il ne pouvait se détourner.
Elle éclata soudain d’un rire muet. Une flopée de bulles frappèrent la joue de Luk-An et la mordirent.
Il se débattit à nouveau et sans qu’il sache pourquoi, perça la surface. Il s’accrocha sans la voir à la première prise qu’il trouva. Ses membres enfin coopératifs le portèrent sur la rive invisible et il se hissa hors de l’eau.

Alors qu’à bout de souffle il se relevait, un flocon glissa jusqu’à sa main. Il le suivit des yeux, ouvrit les doigts et découvrit la marguerite rouge, noyée dans les chairs et le sang.

Aspirée vers le ciel jusqu’au vertige
Il s’en revient
Flocon noir qui voltige
Dans l’oeil où l’éternité se fige.

Un terrible sentiment de frustration le saisit. Il secoua la main avec toute la rage dont il était encore capable. La pierre y resta collée.

– Montrez-vous !

Il s’avança. Sous la plante de ses pieds nus il sentait une succession de creux et de bosses glacés baignés dans un liquide poisseux qui s’infiltrait entre ses orteils et le liait irrémédiablement au sol qu’il foulait.

– Où êtes-vous ? !

Alors qu’il n’attendait plus de réponse, un gémissement monta du sol. Bientôt se joignit à lui une multitude d’autres grincements, lamentations aigus et murmures incompréhensibles.
Luk-An s’arrêta.

Dans son regard, dans son coeur
Le rayon d’espoir se meurt.

Et le brouillard se leva.

Le froid enferme dans sa carapace
Son oeil blanc,
Quand un désir rapace
Façonne son visage dans la glace

Il sut alors qu’il allait survivre…
et cette idée le terrifiait.

Dans son regard, dans son coeur
Le rayon d’espoir se meurt.