Cet article fait parti d’un ensemble d’articles en lien avec mon roman Si j’avais su.
Le roman est disponible en versions numérique et brochée sur Amazon.
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Extrait du journal de Juliette
« Encore »
Je me souviens très bien de ce jour où tu as signé ton premier mot.
« Encore »
Je te revois dans ta chaise haute, le regard pétillant et brillant d’attente.
« Encore »
Encore de ce gâteau que je te donnais pour le goûter.
Je crois que les jours qui ont suivis tu as été plus que gâtée, car je ne pouvais te refuser ce « encore » quand tu le demandais. Mot unique qui ouvrait enfin, après plus d’un an et demi, le champ de la communication entre nous.
Ce n’était qu’un doigt venu frapper au creux d’une paume. C’était pourtant bien davantage.
Un échange puissant.
Et une formule magique pour toi.
« Encore » a été suivi de longs mois d’attente.
De ces deux-trois signes isolés que tu parvenais à faire de tes doigts malhabiles : « merci », « gâteau ».
De cet espoir qu’enfin tu utilises de vrais mots.
C’était tellement inhabituel pour moi ta maman de parler avec les mains, tellement déroutant de te voir atteindre deux ans puis trois ans sans autre vocabulaire que « papa » et « maman ». J’ai essayé pourtant de t’apprendre d’autres signes. Je ne retenais rien. Je n’étais pas systématique dans ma démarche, freinée par cet espoir, « encore » et toujours, que tu parles enfin.
Tu es différente. Ce n’est plus une supposition, c’est un fait.
Tu parleras peut-être un jour… ou bien pas, personne ne peut le dire. Et nous ta famille nous nous retrouvons bien seuls devant tant d’incertitudes.
Nous attendons « encore » sans trop savoir comment nous y prendre pour t’aider.
Lors des premières séances d’orthophonie, c’est la révélation. L’orthophoniste est une magicienne et nous enseigne le langage des fées.
« Pomme »
Puis « poire », « chocolat » (l’un de tes mots préférés), « chaud », « froid », « pluie », « soleil », « toute seule » -parce que celui-ci est essentiel pour toi-, toutes les émotions, car tu as besoin de les exprimer, les couleurs et j’en passe.
« Encore » et « encore » tu en demandes. Tu apprends à toute vitesse. Je suis pour une fois obligée de courir après toi pour me maintenir à la hauteur de ton savoir. J’attends avec impatience chaque rendez-vous pour découvrir le moyen de t’aider à en dire davantage. Tes soeurs, ton papa, tes grands-parents tout le monde s’y met. C’est la folie des mains en mouvement à la maison.
Les mois qui suivent voient s’enrichir ce vocabulaire alternatif de façon incroyable. En parallèle, tu développes une multitude de façons de communiquer. Des gestes pour te faire comprendre, des phrases entières de sons les uns à la suite des autres, des regards. Tu bavardes à longueur de journée, tu cries beaucoup, tu t’énerves si j’oublie la signification de ce signe que toi tu as parfaitement retenu.
Quelques mots apparaissent parfois au grès des besoins, des envies, du hasard « papy-mamie », « tatie », « gâteau », « dodo », « doudou », et, on en sait pourquoi « papillon ».
On applaudit chaque progrès bien sûr.
Tu sais quoi ?
Aujourd’hui, je suis fière. De toi. De ta mémoire. De la façon dont tu parles à tous ceux qui s’occupent de toi. De la façon dont tu communiques. Ce n’est pas souvent par des mots, mais au fond qu’importe petite fée. J’aime cette différence qui fait de toi un être unique. J’aime traduire tes signes sous les yeux étonnés de ceux qui nous entourent. J’aime chaque fois que tu utilises tes mains, même de façon imprécise, pour me parler de ton cœur, « encore ». Parler avec tes mains, c’est une compétence que tu as et que la plupart des autres enfants n’ont pas.
J’ai cessé d’attendre des mots, des phrases complexes. J’ai cessé de trouver cela étrange que tu ne saches pas les prononcer. Bien sûr je souhaite qu’un jour ils nous surprennent pour que tu puisses exprimer « encore » mieux la richesse qui te compose. Mais si ce n’est pas le cas tant pis. On continuera à tout mettre en œuvre pour te comprendre et pour te permettre de dire ce qui te tient le plus à cœur.
« Encore » et toujours.
Je suis fière de toi. De tes progrès. De ton amour des gens. De ce que tu leur communiques avec ou sans mots.
Alors, continue « encore ».
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