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Chapitre 1

15 février 2014 – 22 heures

 

Quand je sors du restaurant, le froid s’enroule autour de mon corps et me compresse la poitrine. Ça fait du bien, parce que je sais que ça ne durera pas, que ce n’est qu’un intermédiaire entre deux moments magiques de cette soirée : notre repas en tête-à-tête et le retour à la maison. J’ai le sourire aux lèvres et de la joie dans le cœur. Je me sens bien.

J’attrape le bras d’Antoine et nous avançons tous les deux, soudés l’un à l’autre. Physiquement. Mais moralement aussi. C’est tellement bon d’être ensemble ! Nous avons fait tellement de projets, ce soir, et croyons fermement en leur réussite. Nous sommes au début d’une merveilleuse aventure qui verra l’aboutissement de nos rêves. J’ai tellement hâte de la vivre que je pourrais hurler. Je n’en fais rien, bien sûr. Je me contente de sourire à en avoir mal à la mâchoire. Nous avançons dans la nuit, sans parler. Nous nous sommes déjà tout dit pendant les quelques heures qu’a duré le repas. Ou presque. Brusquement, un petit quelque chose grignote mon esprit. Je le repousse. Je ne veux pas y penser. Je ne veux rien qui vienne gâcher ce moment.

Antoine s’arrête soudain, il me fait pivoter dans ses bras et lève mon menton vers lui. Il est plus grand que moi d’une tête et j’aime ça. C’est parfait pour me lover dans ses bras et m’y sentir en sécurité. Nos lèvres se rejoignent en un baiser doux qui se transforme bientôt. Plus insistant. Je me presse contre ce corps que je connais si bien. Dix ans de mariage… Nos langues se croisent un instant. De la buée s’échappe autour de nous et crée comme un cocon dans lequel nous pourrions rester des heures.

— Faut qu’on rentre…

C’est ma voix qui vient briser le charme. Je m’en veux immédiatement. Mais on nous attend.

Antoine sourit et me serre plus fort.

— Je t’aime, murmure-t-il.

Je sais tellement que c’est vrai que les larmes me montent aux yeux. Je respire profondément pour les chasser. Je ne me laisse pas pleurer facilement. Antoine passe une main dans mes longs cheveux blonds et plonge son regard noisette dans le bleu du mien. Je sens faiblir ma résolution de me remettre en route. Nous ne pouvons pourtant pas demeurer au beau milieu de la route, campés dans le froid. Je frissonne, sans savoir s’il s’agit de la température ou de la perspective de recevoir d’autres baisers. Antoine sourit de plus belle.

— OK, Juliette, on y va…

Nos bras se raccrochent l’un à l’autre. Et nous repartons. De nombreuses voitures sillonnent la route. Nous profitons d’une accalmie dans le flot et traversons en courant, sans attendre le feu vert. Je ris.

— Ça va, tu n’as pas froid ? demande Antoine.

Je secoue la tête. Si, bien sûr, j’ai froid, mais ce n’est pas gênant. Et même si le repas était tout en finesse, je suis contente de pouvoir marcher un peu avant de me coucher. Je me demande quelle heure il est. Impossible de chasser complètement la question de l’horaire de ma tête. De ma main libre, je fouille dans mon petit sac à main. J’en sors mon téléphone portable. Je déteste les montres. Avoir l’heure accrochée à mon poignet, ce n’est pas pour moi, même si je conviens que c’est pratique.

Pas de messages sur l’écran. Tout doit donc bien se dérouler à la maison. Il est 22 heures tout pile. Nous avons une demi-heure pour rentrer, ce qui est largement suffisant. Même à pied. Nous n’avons pas pris de voiture, car nous n’en avons tout simplement pas. C’est tellement mieux de s’en passer ! Pour notre budget d’abord, et puis pour l’écologie ensuite. Voilà un point sur lequel peu de nos amis nous comprennent. Je fronce les sourcils. Je m’en fiche, en réalité. Ils peuvent penser ce qu’ils veulent, j’aime ma vie ! Et je l’aime encore plus particulièrement ce soir.

Je songe à nouveau aux multiples projets que nous avons griffonnés dans mon carnet pendant le repas. Que j’ai hâte de me lancer ! De voir si nous allons réussir aussi bien que ce que nous espérons…

— Il n’y a pas de raison, a dit Antoine, tout à l’heure. D’autres l’ont fait, pourquoi pas nous ?

Oui, pourquoi pas ? Vivre de sa passion, c’est ce qu’a fait Antoine et c’est désormais un rêve à ma portée. J’en bouillonne intérieurement de bonheur.

Je referme mon sac à main et glisse mes doigts gelés dans la poche de mon manteau. Mince, mes clés ne s’y trouvent pas ! Je lâche un instant le bras d’Antoine pour plonger l’autre main dans la seconde poche. Toujours pas de clés. Mon visage se crispe. Je m’arrête.

— Un problème ? interroge mon mari.

— Je ne sais pas…

J’ouvre à nouveau mon sac. Zut de zut ! Elles ne sont pas ici non plus. Je me creuse la tête pour tenter de me souvenir de ce que j’en ai fait. Peut-être que je les ai laissées à la maison ? Non, je me souviens de les avoir mises dans mon sac. C’est une habitude, je ne pars jamais sans. Brusquement, je me rappelle. Je les ai sorties au restaurant pour mieux attraper mon carnet. J’ai dû les laisser sur la banquette où j’étais assise. Un frisson intérieur me saisit. Cette fois, c’est le stress. Je déteste perdre mes affaires et mes clés font partie de la liste noire des choses à ne pas égarer.

— J’ai oublié mes clés au restaurant…

Je suis en colère contre moi. Avant qu’Antoine ne dise quoi que ce soit, j’ajoute :

— Je retourne les chercher.

— D’accord. On avait dit qu’on retirerait quarante euros pour la nounou. Je vais le faire pendant ce temps. On se retrouve place Dorian, ça te va ?

J’acquiesce, tourne les talons et fonce. Heureusement qu’on a vu un peu large niveau horaire. J’espère juste que mes clés sont bien là-bas et qu’elles n’auront pas disparu. Je retraverse la route et parviens dans la petite ruelle à l’entrée de laquelle se trouve le restaurant. C’est un japonais. Mon préféré à Saint-Étienne.

Je souris à nouveau, malgré le brin d’appréhension qui me saisit lorsque je pousse la porte. Rien ne semble avoir bougé depuis notre sortie. Dans la toute petite salle du bas, il y a toujours les deux jeunes femmes qui dînent à côté de la fenêtre et un autre client, seul. Des escaliers mènent à l’étage. Ce soir, nous n’étions pas nombreux, mais je sais que, parfois, le lieu peut être plein. Mes yeux parcourent la salle. J’aime l’ambiance tamisée, les éventails accrochés au mur et les statuettes de dragons posées sur une étagère. Sur notre table trônent encore des assiettes à dessert vides. Et deux bols minuscules. Je me rends compte que j’ai encore le goût du saké chaud sur le bout de la langue. Avec un immense soulagement, j’aperçois mes clés sur la banquette. Je m’approche pour les saisir. Je remarque alors que non, elles ne sont pas posées à même le cuir brun, mais sur la couverture d’un livre. Une petite grimace tord mes lèvres. Que fait ce livre ici ? Je ne me rappelle pas l’avoir vu pendant le repas.

« Tu devais être trop occupée à échafauder tes plans d’avenir avec ton amoureux », me murmure mon esprit.

Sans plus m’attarder sur la question, j’attrape les clés. Je me retourne et j’aperçois la patronne du restaurant. Je brandis mon trousseau sous ses yeux avec un petit rire.

— J’ai oublié mes clés.

Son visage ridé me sourit en retour.

— Heureusement que vous vous en êtes rendu compte rapidement, me dit-elle avec bienveillance.

J’aime ces gens. Nous ne mangeons pas souvent ici. Le budget est serré. Mais j’apprécie autant l’ambiance que la nourriture ou l’accueil. Un tout parfait qui m’a tellement fait du bien ce soir. J’espère vraiment que nos projets vont aboutir et que nous pourrons nous offrir ce luxe un peu plus souvent.

— Je vais me sauver, maintenant. Merci encore pour ce délicieux repas !

— Merci à vous, me dit la patronne.

Je me détourne.

— Attendez ! me retient-elle soudain. Vous oubliez votre livre.

Je mets un instant à comprendre, puis mon regard tombe de nouveau sur l’ouvrage posé sur la banquette.

— Ah oui… Il n’est pas à moi, en fait.

— Ah bon ?

La patronne semble interloquée. Elle s’approche du livre et l’attrape.

— Il n’est pas à moi non plus.

Elle se tourne vers les deux femmes de la fenêtre.

— Est-ce à vous ?

Elles secouent la tête, l’une après l’autre.

— Et vous, monsieur ?

L’homme répond par la négative. La patronne du restaurant me regarde à nouveau.

— Vous êtes sûre ? Je vous ai entendu parler de livres, tout à l’heure.

Mon sourire s’élargit. J’adore parler de livres. C’est ma passion… et mon métier, enfin, j’espère bientôt en faire mon métier.

— Oui, absolument certaine.

Comme elle me tend l’ouvrage, je ne peux m’empêcher de le saisir et de l’examiner. C’est un vieux livre avec une couverture en cuir sur laquelle s’enroulent des signes qui forment des dessins étranges. On dirait presque qu’ils bougent. Je repère ici une fleur qui disparaît soudain. Un arbre qui se transforme suivant l’angle de mon regard en un paysage de montagne. Je caresse la couverture. Douceur et relief sous les doigts. Pas de titre. Pas de nom d’auteur. Aucune inscription. Je l’ouvre. Peut-être que je trouverai à l’intérieur une indication à propos de son propriétaire. La première page est blanche. La seconde aussi. Je feuillette un peu au hasard pour ne découvrir que des pages immaculées. Bizarre, ce livre. C’est plutôt un carnet, du coup.

— Il n’y a rien, commente la patronne du restaurant.

— Non…

Nous restons un moment silencieuses toutes les deux.

— Prenez-le, dit-elle soudain.

— Comment ?

Je ne peux m’empêcher de m’étonner. Elle fait un geste circulaire de la main pour montrer la salle.

— Personne d’autre n’est venu ce soir, dit-elle. Je ne sais pas ce que fait ce livre ici, mais vous avez l’air d’avoir une idée de ce que vous pourriez en faire.

Elle n’a pas tort. J’aime vraiment les carnets. Je les remplis de mots serrés les uns aux autres, de pensées profondes ou frivoles, de dessins maladroits. Celui-ci est particulièrement beau. Pourtant, j’hésite. Ça s’apparente un peu à du vol. Il n’est pas à moi.

— Prenez-le, insiste-t-elle.

Antoine m’attend. Et la nounou à la maison aussi. Je n’ai que peu de temps pour me décider.

— D’accord…

Ma voix est encore un peu hésitante, mais j’ai formulé mon envie profonde.

— Vous êtes sûre qu’il n’est à personne ?

— Certaine !

Elle hausse les épaules.

— Je ne sais pas comment il est arrivé là.

Je cède enfin et plaque l’ouvrage contre ma poitrine. Le sourire s’étend sur mes lèvres.

— Merci.

Elle me sourit en retour et me raccompagne jusqu’à la porte. Je ne peux pas m’empêcher de jeter un nouveau regard aux clients. Comme s’ils allaient bondir soudain et me hurler de rendre ce qui n’est pas à moi. Les deux femmes terminent leurs desserts, si absorbées par leur conversation qu’aucune ne m’accorde la moindre attention. L’homme regarde ailleurs. Je me rassure : on leur a posé la question, le livre n’est pas à eux. Et s’il n’est à personne et que la patronne du restaurant me l’offre, alors, je suis en droit de le prendre.

— Au revoir !

Le froid me saisit à nouveau lorsque je cours dans la rue pour rattraper le temps perdu. J’ai brusquement envie de rire. L’euphorie que je ressentais un peu plus tôt réapparaît, accompagnée de ce petit pincement au cœur dont je sais l’origine, mais sur lequel je refuse de m’attarder. Je repasse dans mon esprit tous nos projets. Ils sont possibles et un bel avenir nous attend. Sauf si… Non, tout va bien se passer. Cette soirée a été trop magique pour que le réveil soit glacé demain matin.

Je chasse la peur et, essoufflée, débouche sur la place Dorian. Mon cœur bondit quand j’aperçois Antoine qui m’attend, le sourire au coin de la bouche. Qu’est-ce que je l’aime ! Cet amour, je sais que rien ne peut le détruire. Et c’est avec cette conviction profonde que je m’élance dans ses bras.

Chapitre 2

16 février 2014 – Minuit

 

Je me tourne une nouvelle fois dans le lit. Lentement. Et, pour être exacte, le plus doucement possible. Peur de réveiller Antoine. Raté. Il grogne. Je sais que je l’embête.

Depuis que nous avons éteint les lumières, impossible de trouver le sommeil. Je suis quelqu’un d’un peu bizarre, mais pour arriver à m’endormir, je dois me tourner et retourner sans arrêt d’un côté et de l’autre. Je passe ainsi sur le dos, sur le ventre, à droite, à gauche, successivement et plusieurs fois. Je souris intérieurement. Je ne sais jamais quelle est la position qui va enfin me permettre de sombrer. Ce soir, aucune ne me semble satisfaisante. Je n’ose plus remuer, à peine respirer.

Pourquoi est-ce que je ne dors pas ? Au fond, je le sais… Il y a tous ces projets qui se bousculent dans mon esprit, l’excitation et la peur, et puis la perspective de ce qui m’attend demain matin. La crainte que, soudain, tout s’écroule. Non, j’exagère. Tout ne s’effondrera pas. Mais tout pourrait être remis en question, ou, au moins, repoussé, à cause de… à cause de ce que je ne m’autorise pas à formuler. Je ne veux pas de grain de sable pour contrecarrer mes plans. Je désire m’élancer vers l’avenir avec l’enthousiasme qui me caractérise quand je suis passionnée. J’ai des rêves à réaliser ! J’en ai même plein la tête et j’y crois, ce soir.

J’écoute la respiration régulière d’Antoine, les yeux ouverts sur les ombres familières de ma chambre. La bibliothèque à droite, mon armoire à gauche. Si seulement j’avais un peu de poudre magique de sommeil… Je ris sans bruit. Pas la moindre sensation de fatigue dans mon corps. Je me concentre. J’essaie une petite technique de détente en passant en revue chacune des parties de mon corps pour les décrisper, puis je laisse mes pensées vagabonder au hasard, décousues et farfelues. Rien n’y fait. Le sommeil me fuit et je ressens une envie irrésistible de bouger à nouveau. Las, je repousse la couverture et je me lève. Le froid attrape mes épaules et glisse sur mon ventre nu. Je souris en repensant au long câlin tendre auquel j’ai eu droit, juste un peu plus tôt.

— Tu es tellement belle !

Une des phrases d’Antoine. Il me le répète si souvent que j’ai fini par le croire. Je lui jette un coup d’œil plein d’amour. J’ai de la chance de l’avoir dans ma vie depuis si longtemps. Vraiment. J’enfile une culotte et une nuisette légère et je m’enroule dans un long châle. Mes pieds serrés dans des pantoufles, je traverse le couloir. Aucun bruit derrière la porte de la chambre de mes filles. Carole, notre nounou d’un soir, m’a assuré qu’elles avaient été sages. J’aime recevoir des compliments sur le comportement de mes enfants. Avec mes princesses, ça arrive très souvent et j’en suis fière.

J’arrive dans la pièce à vivre. Je n’ai aucune idée de ce que je fais là, à bientôt minuit. Je m’accoude à la table qui sépare la cuisine du salon. Tout est noir, les volets sont fermés. Seule la lumière rouge de l’heure affichée sur le four émet un petit rayonnement. L’air sent la mandarine. Je repère le fruit à moitié épluché près de la cafetière. Mes doigts l’attrapent et voilà que je grignote sans réelle faim, simplement parce que je suis un peu perdue, seule dans le silence et la nuit. Je repense au repas japonais. Aux sushis que j’adore. Et, bien entendu, à la conversation avec Antoine. J’ai presque envie de bondir vers mon ordinateur et de commencer tout de suite à noter des idées pour développer mon entreprise. Je me retiens. Je ne peux décemment pas m’y mettre à cette heure ! Je m’en veux un peu. Demain matin, les filles se lèveront tôt, comme d’habitude, et il me faudra être en forme pour m’en occuper. À bientôt cinq ans et presque deux ans, elles sont encore trop petites pour se passer de moi longtemps.

— Mes petites puces…

Le murmure résonne dans la nuit. Je les aime tellement, elles aussi ! Même si, parfois, j’ai hâte qu’elles grandissent un peu et me laissent plus de temps pour mes projets personnels.

« Il y a la crèche et l’école, me rappelle mon esprit, tu devrais t’en sortir et arriver à faire ce que vous avez décidé, Antoine et toi. »

Un frisson me surprend. Je me demande si je vais réellement arriver à dépasser mes peurs et à me lancer. Au fond, je sais que oui. Il me faut juste oser faire le premier pas.

Mon regard retombe sur mon ordinateur, posé sur le secrétaire. Juste à côté des baies vitrées qui donnent sur l’extérieur. Quand je travaille, j’ai besoin de regarder dehors. De voir le ciel. Ou la neige qui tombe. Et l’arbre de notre petit jardin. Cet après-midi, je n’ai pas fait grand-chose. Un samedi avec les filles n’est pas propice au travail. Mais hier, j’ai bien avancé sur le roman que je suis en train d’écrire.

Je tends la main et je cherche un peu à tâtons la bougie qui trône toujours à côté de ma plaque à induction. Elle est à sa place. Les allumettes se trouvent dans le placard au-dessus, hors de portée des enfants. J’en gratte une et allume la bougie. J’aime tellement la lumière chaude qu’elle dégage ! La flamme tremble sous des courants d’air invisibles. J’enroule un peu plus le châle autour de mes épaules. Et le fil de mes pensées me ramène à ce roman qui avance petit à petit. Un monde imaginaire, tout droit sorti de mon cerveau créatif. Une quête. Des personnages que j’apprécie, d’autres qui m’agacent. Des paysages à couper le souffle. Je suis passionnée d’écriture depuis que je suis enfant. J’ai écrit déjà des dizaines de romans. Cependant, à trente ans, je n’ai jamais vraiment pris le temps de publier la moindre œuvre.

— C’est le bon moment, m’a encouragée Antoine, tout à l’heure. Si tu le fais en même temps que ton travail sur le blog, ça va cartonner, j’en suis certain !

Le blog… la suite prévisible de ma passion. Je donne des conseils d’écriture depuis quelques années, gratuitement. L’heure est venue de passer à la vitesse supérieure. Nous avons décidé, avec Antoine, que j’allais lancer mes premières formations payantes. Certainement sous forme audio.

— Ça serait bien aussi que tu commences une chaîne YouTube, m’a conseillé mon homme, passionné par tout ce qui est business en ligne.

Je frémis. J’adore écrire. Je crois être douée pour ça. Mais pour ce qui est de m’exprimer à l’oral, c’est bien plus compliqué. Un véritable défi. Je ne sais pas vraiment comment je vais arriver à dépasser mes appréhensions, même si j’en ai envie, vraiment. Pour me prouver des choses à moi-même, d’abord. J’aime les défis. Et puis, pour être libre. À la base, j’ai une formation de professeur des écoles. Petite, je rêvais d’enseigner, un peu à la manière de Laura Ingalls dans La Petite Maison dans la prairie. Pourtant, le concours en poche, je me suis rendu compte tout de suite que je n’étais pas faite pour ça. C’est fou comme on peut se tromper de voie. Je ne suis pas la femme rangée que j’avais cru être. Je bouillonne d’envie de créer, de m’exprimer autrement, de partager avec d’autres. Et, bien trop souvent, j’ai dû faire de la discipline dans les classes et me plier à une routine qui me tuait petit à petit.

J’ai profité de mes grossesses successives pour me sauver. J’ai pensé un moment que je m’accomplirais mieux dans la vie de maman au foyer. Je me suis plongée avec bonheur dans le train-train quotidien, avant de réaliser que, non, cela non plus ne me correspondait pas. Alors, sur les conseils d’Antoine, j’ai monté mon blog. Ça a été bien plus facile que ce que je supposais au départ, de trouver des conseils à partager avec mes abonnés. Il faut dire que j’écris depuis que je suis enfant et que ça me plaît vraiment. Entre deux couches et deux tétées des bébés, j’ai donc appris les rudiments de WordPress et un peu de code pour publier mes articles.

Je sursaute soudain. Un gémissement monte de la pièce à côté. Je me tends… Non, c’est le silence à nouveau. Je souffle doucement, incapable de décider quoi faire. Rester ici, plantée dans la cuisine ? Certainement pas. Pourtant, j’hésite à aller m’installer sur le canapé. La sagesse voudrait que je retourne au lit et que je dorme enfin. Un nœud serre mon estomac. Une sensation qui revient régulièrement depuis une quinzaine de jours. Je connais parfaitement son origine, je sais aussi que je refuse d’y penser. Comme si y songer pouvait donner vie à mes craintes…

Faute de décider quoi que ce soit, mon regard explore le salon. Un canapé et deux fauteuils blancs – j’ai choisi cette couleur quand je n’avais pas encore d’enfants, ils arborent désormais de multiples marques de doigts, de feutres et autres taches indéfinissables –, un tapis à longs poils gris, sur lequel j’aime m’allonger pour lire des histoires aux filles. Une table sur la gauche, blanche elle aussi, entourée de chaises en bois. Quelques tableaux au mur. Et un petit meuble, près de l’entrée. J’aime les espaces dégagés. Antoine partage ce goût. Et nous avons veillé à mettre le moins possible de choses dans cette pièce. J’aime cet appartement, même s’il n’est pas très grand. Je l’ai décoré à mon goût et je veille à le maintenir propre et rangé. Je souris. J’y arrive presque. Avec les filles, pas évident d’être maniaque !

« Et pourtant, tu as envie de partir… », souffle mon esprit.

C’est vrai. C’est un autre de nos rêves, avec Antoine. Déménager dans quelque chose d’un peu plus grand. Plus en centre-ville, pour nous rapprocher de l’école et de toutes les commodités. On a une vraie vie de Parisiens. Mais pas les revenus suffisants, du moins pour le moment. Si mon entreprise marche, alors, ça risque de changer.

Le froid remonte le long de mes jambes nues. Il faut que je me décide. Mon regard revient à la bougie. Soudain, j’aperçois, juste derrière, le livre que m’a donné la gérante du restaurant. La couverture est encore plus belle, éclairée par la danse de la flamme. Encore plus vivante. J’approche les doigts et les glisse le long des dessins. Je le tire vers moi. À nouveau, je l’ouvre et je me noie dans la pureté des pages. Une feuille blanche, ça ne me fait pas peur, au contraire. J’ai envie de la remplir. J’ai envie de la faire vivre. C’est ce qui se passe quand j’écris mes romans. Ou mes journaux intimes. Je me demande ce que je vais inscrire ici. Le manuscrit de ma prochaine histoire ? Le récit de ma vie ? Peut-être les réussites prochaines de mon défi de blogueuse ? Je souris de plus belle et tourne les pages une à une, en imaginant les mots qui les couvriront bientôt. J’arrive à la toute fin de l’ouvrage.

C’est alors que je découvre un renfoncement dans la couverture. Un collier de perles transparentes y est logé. Mes doigts effleurent chacune des billes. La bougie les anime d’ombres et de lumières. Elles sont douces et semblent si fragiles. Je ne peux m’empêcher d’attraper le fil argenté du collier et de le soulever. C’est fou, le nombre de perles ! Je ne les compte pas, mais, à première vue, elles doivent être environ une quarantaine. Minuscules. Je me demande si ce sont de vraies perles. Certainement pas. Qui abandonnerait un collier de grande valeur au fond d’un livre aux pages blanches ? Pourtant, je n’arrive pas à savoir de quoi elles sont faites. Bien trop délicates pour du plastique. Le collier dodeline doucement dans le silence de la pièce. Ma respiration s’est accélérée. La peur d’avoir volé me surprend à nouveau. Je la chasse. On me l’a donné, ce livre ! Ce bijou m’appartient aussi. Je referme le carnet.

Brusquement, je sursaute. Sur la couverture est apparu ce même collier. Cette fois, pas de doute. Est-ce que je ne l’avais pas vu avant, perdu qu’il devait être dans le bazar des lignes ? Peut-être. Mes yeux reviennent à l’objet en question. J’ai envie de l’essayer, même si je sais déjà que je ne le porterai jamais. Ce n’est pas mon style et je n’aurais rien avec quoi l’accorder. Je cherche un système d’ouverture. Il n’y en a pas. Il doit être assez grand pour passer directement par la tête. Je le lève et l’approche de mon front. Un rien me titille encore l’esprit. Le vol ? Non, ce n’est plus ça. Une appréhension que je n’explique pas. Je crois que je deviens folle à rester debout aussi tard. J’hésite encore un instant, puis je passe le collier. Il est aussi léger que ce à quoi je m’attendais et pourtant, malgré le châle, je sens chacune des perles contre ma poitrine. Je respire doucement. Le silence bourdonne à mes oreilles. Le goût de la mandarine s’étale sur mes lèvres. J’attends. Je ne sais pas quoi, mais j’attends.

— Tu ferais bien d’aller voir ce que ça donne dans une glace…

Le murmure m’enveloppe comme une caresse. Je me tourne. Et soudain, ma vue se brouille. Je tente de m’accrocher à la table. Je la manque. Mes jambes se dérobent sous moi et je m’effondre sur le carrelage. En un instant, tout devient noir. 

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