Gecko - Premier chapitre du roman
Voici le premier chapitre de mon roman Gecko :
Un clapotis léger dansait contre son oreille. Un son qui la renvoyait loin, dans des souvenirs qu’elle ne parvenait pas à identifier. Un gargouillis agaçant par son irrégularité. Elle qui aimait l’ordre et les pensées organisées ! Brusquement, le bruit s’amplifia, envahit tout son être, devint terrifiant.
— Ahhhh !
La jeune femme se redressa au son de son propre hurlement. Hébétée, elle contempla les longues flammes rouges qui se dressaient face à elle. C’était une barrière immense qui avalait l’horizon et cachait le ciel. Elle en sentait la chaleur sur sa poitrine aussi intensément que l’air glacé qui coulait dans son dos. Un tison enflammé se détacha, bondit vers elle et se noya dans l’eau noire, juste avant de l’atteindre.
La jeune femme réalisa qu’elle était entourée de flots ténébreux. Elle attrapa des deux mains le rebord de la barque dans laquelle elle se trouvait, chercha instinctivement des rames sans les trouver et se retourna. Un bref soulagement traversa son esprit paniqué lorsqu’elle comprit que la rive n’était pas loin. Un long quai vide, que surplombaient des murailles ébène.
La jeune femme trempa une main dans l’eau, dans l’idée de suppléer aux rames et d’éloigner la barque de la barrière de feu. Elle la retira avec un nouveau hurlement. Le liquide était bouillant.
— À l’aide ! cria-t-elle.
Le son de sa voix se perdit dans la nuit, aspiré par le crépitement de l’incendie. Elle se pencha par-dessus bord. La surface auréolée d’orange et d’or lui renvoya le reflet d’un visage ravagé. De longues griffures barraient ses joues. Un œil était à demi fermé sous un coquart bleu. Ses longs cheveux bruns ondoyaient en désordre autour de ses épaules.
Elle se recula d’un coup, incapable de donner un sens à cette image, et resta un long moment prostrée au fond de la barque. Son regard s’attacha soudain à une bille de lumière qui dansait sur l’un des bancs de nage. La jeune femme entrouvrit la bouche sans savoir si elle devait craindre cette nouvelle curiosité. La sphère, de la taille d’un ongle, s’étira lentement et se modela pour former un petit animal.
La naufragée reconnut un lézard.
— Un gecko, murmura-t-elle. Que fais-tu là ?
Sans trop comprendre ce qui l’y poussait, elle tendit la main vers lui et le toucha. Alors, la bille explosa en une centaine de minuscules bulles dorées, qui s’évaporèrent dans la nuit. La jeune femme soupira. Elle se traîna à nouveau jusqu’au bord de la barque. Cette fois, ce n’était plus son reflet qu’elle cherchait, mais ce qui se cachait sous la surface parcourue de frissons.
Il y avait là quelque chose. Elle sentait une force irrésistible, qui la poussait en avant. Une larme s’échappa de son œil abîmé. Elle l’ignora, fascinée par les ondulations de feu qui l’empêchaient de sonder les profondeurs.
« Quelque chose de terrible est enseveli là. »
La pensée vrilla son cœur. Elle était sûre de la véracité de cette affirmation.
— Qu’est-ce que c’est ? hurla-t-elle.
Encore une fois, le son de sa voix fut avalé. La naufragée arracha son regard de l’eau pour le reporter sur la ligne des flammes. Comme la chaleur était plus supportable, la jeune femme réalisa qu’elle s’était éloignée. À nouveau, elle se retourna. C’était bien cela. La barque se mouvait, poussée par des courants invisibles, et elle approchait du quai. Avec difficulté, la naufragée se mit à genoux. Il lui semblait que tout son corps était douloureux.
« Je veux sortir de là », se dit-elle.
Pour l’heure, tout ce qui lui importait était de quitter cette embarcation fragile et de se retrouver en sécurité. Elle se redressa, un peu chancelante, prête à sauter sur le quai dès que possible. Une angoisse terrible la plia soudain en deux. La sensation d’oublier une chose essentielle, celle de laisser un peu d’elle-même entre les griffes des monstres tapis dans les profondeurs.
Ses yeux fous balayèrent une fois encore la colonne de feu et l’ensemble des eaux sans trouver ce qu’elle cherchait, sans même savoir ce qui lui échappait.
— Sors d’ici ! se rabroua-t-elle. Tu dois sortir avant que…
Elle ne savait pas ce qui arriverait si elle ne le faisait pas. Toutefois, le sentiment d’urgence se faisait de plus en plus pressant, semblable à la douleur terrible qui cloîtrait son cœur. Elle ordonna à son corps de se déplier et sursauta. Sur le quai désormais proche se tenait une silhouette fine, entourée d’une cape soyeuse.
La naufragée leva lentement les yeux vers le visage de l’apparition. Ses traits fins étaient parcourus de rayons dorés qui glissaient de son menton à ses joues et semblaient se concentrer dans ses yeux. Émeraude. Le regard de l’inconnue enveloppa la naufragée. Intense. Un calme incroyable l’envahit. La sensation de toucher du doigt l’apaisement et la délivrance.
La barque heurta le quai. La jeune femme vacilla et tomba contre le mur de pierres glacées. L’air quitta ses poumons dans un cri. Lorsqu’elle reprit son souffle, il n’y avait plus personne devant elle. Des pavés vides, trempés de flaques de feu, jonchés de détritus. Elle se hissa hors de la barque et tenta quelques pas avant de tomber à genoux.
« Tu as échoué. »
La pensée lui comprima la poitrine. Elle se débattit un court instant avec la tempête d’idées incohérentes qui ravageait son esprit. Finalement, elle se laissa emporter par le tsunami intérieur. Elle n’avait aucune chance d’y échapper. Et elle le savait.
— Ici ! hurla une voix d’homme. La barque est là !
La jeune femme releva la tête.
— Je l’ai trouvée !
Un instant plus tard, elle se retrouva encadrée d’ombres noires. Il y eut un silence alors que ceux qui la dominaient l’observaient. Deux bras se glissèrent sous les siens et la remirent sur pied.
— C’est une naufragée. Préviens le roi.
— On l’emmène à la Citadelle.
— Tu as vérifié la barque ? N’oublie rien, et mets le feu.
La jeune femme jeta des regards affolés à l’ensemble de la troupe.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
Nul ne l’entendit. Alors, une nouvelle pensée la percuta.
« Et moi ? Qui suis-je ? »
Avec horreur, elle constata qu’elle n’avait aucune réponse à cette question.
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